C’est dans le hall du Musée des Plans-Reliefs que nous avons rendez-vous ce 21 novembre avec Géraldine Froger notre guide, pour nous embarquer sur les traces d’un personnage mythique de l’histoire de France : Vauban.
Situé dans les combles d’une aile de l’hôtel des Invalides à côté du Musée de l’Armée, le musée des Plans-Reliefs abrite les maquettes « en relief » des places fortes et citadelles construites du moyen-âge au XIXe siècle.
Sébastien Le Prestre de Vauban voit le jour en 1633 dans le Nivernais, en Bourgogne, au Château de Bazoches.
Il reçoit une éducation classique et vers 18 ans s’engage vers une carrière militaire : c’est l’époque de la Fronde et c’est l’armée de Condé qu’il rejoint contre les troupes royales.
Cependant, Mazarin le repère et dès la fin des troubles de la Fronde, Vauban rejoint les armées du Roi et il est placé en formation auprès du Chevalier de Clerville.
Devenu ingénieur militaire, il participe à de nombreux sièges (dont une vingtaine en présence du Roi) au cours desquels il est blessé de nombreuses fois, entre autres par un éclat de mousquet qui lui laisse une cicatrice sur la joue gauche. Il se trouve confronté à des choix stratégiques coûteux en vies humaines : toute sa vie il n’aura de cesse de rechercher, dans la construction de ses forteresses et dans ses développements de stratégie militaire, des choix permettant d’économiser la vie des hommes.
Il trouve, malgré tout, le temps de retourner en Bourgogne pour épouser en 1660 une petite parente. En permanence sur les routes du royaume, il s’arrangera toujours pour retourner une fois par an passer 2 mois en son château de Bazoches.
Il est nommé gouverneur de Lille en 1668 et commissaire général des fortifications en 1678.
Les plans-reliefs existent depuis le XVIe siècle et sont déjà utilisés pour préparer des travaux de fortification. Mais c’est lorsque Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV, commande à Vauban celui de Dunkerque, en 1668, que la collection va prendre son essor. D’abord peu convaincu, Vauban va très vite comprendre l’intérêt de ces maquettes qui deviendront de véritables outils de stratégie militaire.
Notre guide nous montre d’abord comment sont fabriquées ces maquettes.
Chacune représente une ville, sa citadelle, sa forteresse bastionnée, son enceinte, chaque maison, église et autres bâtiments tout en détail, les champs et fermes alentours.
Les plans sont réalisés à l’échelle du 1/600. Leurs dimensions impressionnantes s’expliquent déjà militairement : ils représentent la forteresse et ses alentours dans la limite de portée des tirs d’artillerie. Plus l’artillerie va faire de progrès, plus les plans devront être grands jusqu’à ce que la puissance de l’artillerie de la fin du XIXe siècle les rendent obsolètes et inutiles.
Ils sont fabriqués sur des tables de chêne. Afin que les ouvriers puissent toujours atteindre le centre du plan pour y positionner les éléments, les tables sont découpées en épousant les contours du paysage (routes, cours d’eau, limites de champs). Ainsi les raccords ne se voient pas une fois la maquette assemblée.
Pour représenter les couleurs des paysages on utilise de la soie : les fils de soie sont teints en plusieurs couleurs, passés dans une machine à hacher la soie et la poudre de soie ainsi obtenue est pulvérisée sur les plans.
Colle arabique, colle de poisson ou encore colle de soie sont utilisées.
On représente les routes, chemins ou champs de céréale avec du sable ou du gravier. Pour simuler un champ cultivé, on aplatit avec une petite roulette qui permet de tracer des sillons. Cela montre qu’il y a une ferme, que les terrains ne sont pas abandonnés. Pour représenter les arbres, on utilise du fil de fer et de la soie. Au départ tous les arbres étaient similaires, représentés par une seule espèce, puis de plus en plus d’essences différentes d’arbres ont été reproduites pour ajouter de la véracité aux plans-reliefs.
Un élevage de vers à soie se trouvait à côté des Tuileries et fournissait la soie nécessaire à la fabrication des maquettes. Celles-ci y étaient installées aux Tuileries jusqu’au début du XVIIIe siècle avant de rejoindre la galerie du Bord-de-l’Eau, au Louvre, jusque dans les années 1770.
Chaque plan était soigneusement préparé par les ingénieurs topographes qui relevaient dans leurs cahiers de développement les copies des maisons et établissaient des aquarelles pour relevés les couleurs. Les maisons sont taillées dans de petits cubes de bois sculptés et du papier peint recouvre la façade et le toit.
Au XIXe siècle, 10 personnes étaient utilisées pour travailler sur une maquette : des ouvriers modeleurs, des peintres…
Le règne de Louis XIV a été extrêmement guerrier. Vauban a rédigé deux traités majeurs : l’attaque des places fortifiées et la défense des places fortifiées.
Pour Vauban, l’art de l’attaque d’une ville fortifiée se conçoit en 12 étapes. Il conçoit des tranchées en zigzag qui permettent de bloquer les tirs d’artilleries des assiégés sans pouvoir atteindre en enfilade tous ceux qui se trouvent dans la tranchée.
Quelques maquettes ont été réalisées par le musée pour illustrer cet art.
Nous assistons alors à un numéro d’équilibriste de Monique (descendante directe d’Agecanonix) qui dans l’élan d’une démonstration d’intrépidité, grimpe sur le rebord de 30 cm devant les vitres, utilisant sa canne pour virevolter afin d’être plus à la hauteur pour mieux apprécier la stratégie de l’ingénieur militaire !!! (dommage, je n’ai pas fait de photo)
Vauban n’est pas seulement ingénieur, il est aussi architecte militaire. Il va concevoir et développer les fortifications bastionnées, construire de nouvelles places fortes, remanier les fortifications médiévales. Une ceinture de fortifications autour du royaume, le long des frontières comme sur la façade maritime, qu’il appelle « le Pré Carré ».
Quelques exemples ? La grande salle où sont exposées les plans-reliefs nous emmène d’abord à Bayonne : les fortifications étaient obsolètes. Une citadelle, « petite ville » militaire, a été construite.
Toutes les maquettes ne datent pas de l’époque de Vauban, toutes ne représentent pas des fortifications construites ou réhabilitées par Vauban. Beaucoup de plans-reliefs ont été détruits quand ils étaient jugés obsolètes ou ont été victimes des déménagements et aléas de l’Histoire.
Quand des modifications de construction étaient apportées à une place forte, on modifiait le plan-relief pour le mettre à jour.
Ces maquettes étaient aussi un peu l’œil du roi dans les provinces.
Les plus grands plans, Brest (130m2) et Cherbourg (160m2), sont en réserve. Ils avaient été exposés en 2012 au Grand Palais lors de l’exposition « la France en relief ».
Tout au long de ce voyage, de place forte en place forte, à travers le royaume, nous admirons les plans anciens de ces villes ou forteresses. Sorte de vues aériennes avant l’heure, les plans-reliefs ont une valeur indéniable de photographie d’époque. Contrairement à un plan dessiné ils permettent une vue sous tous les angles, ils cartographient l’urbanisme des citées, comme le relief de tout le paysage autour de la fortification.
Nous découvrons l’art de la fortification bastionnée dont Vauban a établie 3 systèmes.
Les bastions, triangles reliés par des courtines qui remplacent les tours médiévales, parfois pourvus d’une petite tour de surveillance, l’échauguette.
Les encoches dans lesquels sont positionnées les canons.
Les demi-lunes, avancées pointues elles aussi triangulaires qui alternent avec les bastions, et offrent également une couverture de tirs.
Le chemin couvert qui permet la circulation de soldats à l’abri de la vue et des tirs de l’ennemi.
Un grand espace vide entoure les forteresses : c’est le glacis. Un espace à découvert dans lequel ne se trouve aucune construction, aucun arbre, aucun buisson. Il n’offre ainsi aucun abri à l’assaillant pour se dissimuler.
La faiblesse d’une ville fortifiée est d’être une ville enfermée, ce qui induit un problème de communication et de ravitaillement. Vauban a calculé la durée d’un siège : 48 jours. Tous les vivres pour tenir cette durée sont prévus dans la citadelle.
Nous voilà à Perpignan, au Château d’Oléron, à Saint-Martin-de-Ré, à Blaye et au Fort Pâté. Nous nous attardons devant le plan-relief du Château-trompette à Bordeaux (détruit au XIXe siècle) construit sur les plans du Chevalier de Clerville, orné d’une somptueuse décoration. Inutile et trop coûteuse selon Vauban, pour qui les constructions militaires doivent aussi être construites dans un souci d’économie pour les finances du royaume.
Il se préoccupe d’ailleurs de la pauvreté et de la famine qu’il côtoie dans les provinces et rédige un mémoire intitulé « Cochonerie, ou le calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps« . Il y calcule le nombre de petits que donne une truie par portée et le moyen de lutter ainsi contre les disettes qui déciment le royaume.
Neuf-Brisach, en Alsace, à proximité du Rhin : il s’agit là d’une ville neuve entièrement conçue par Vauban. C’est le seul exemple de son « troisième type » de fortification.
Nous rejoignons Villefranche-de-Conflent, petite citée encastrée dans les Pyrénées.
Plan-relief de Villefranche de Conflent (Pyrénées orientales)
Puis c’est Marseille : la maquette du Fort Saint Nicolas conçu par le Chevalier de Clerville. Vauban a en dit : « la plus mauvaise citadelle de l’univers ». C’est peu dire…
Toulon : Colbert en a fait la principale base navale française en Méditerranée. Vauban agrandie la ville et construit une nouvelle enceinte bastionnée. Ingénieur et architecte militaire mais aussi architecte civil, il conçoit le projet dans son ensemble : tout y est prévu : le casernement des soldats, le logement des ouvriers et employés civils, les hangars de fabrication et réparation des bateaux… Il y prévoit même le passage d’un tombereau dans les rues pour le ramassage des déchets.
Plan-relief de Toulon (var)
Louis XIV le fait Maréchal en 1703.
Cet homme aux multiples facettes, a également conçu des ports, des phares… Il a trouvé le temps d’écrire de nombreux ouvrages et mémoires. Précurseur, il écrit même une réforme de l’impôt, la « Dîme Royale« , qu’il propose à Louis XIV, impôt applicable à tous les sujets du roi selon le montant de leur revenu.
Et nous quittons le musée pour nous rendre sous le dôme des Invalides.
Vauban décède à Paris en 1707 âgé de 73 ans ; il est enterré chez lui à Bazoches dans la chapelle familiale. Sa tombe a été profanée à la révolution. Seul son cœur a été conservé.
Sur ordre de Napoléon, un tombeau lui est dressé sous le dôme des Invalides, et après quelques péripéties rocambolesques, son cœur y est placé en 1804.
Merci à notre guide qui nous a si bien conté l’histoire de ce personnage unique et de tout son travail au service du Roi de France à travers quelques sublimes Plans-Reliefs de fortifications que nous ne manquerons pas d’aller visiter et admirer grandeur nature au gré de nos pérégrinations généalogiques.
De belles photos des maquettes sur le site du musée :
http://www.museedesplansreliefs.culture.fr/collections/maquettes/accueil
Une explication simple des 3 systèmes de fortification de Vauban :