En ce froid vendredi 22 janvier 2016, nous avons rendez-vous avec Aline Damoiseau, responsable de la valorisation aux Archives de Paris pour une visite des coulisses des archives de la capitale.
Paris est un cas un peu particulier : à la fois ville et département, les archives sont donc autant Archives Municipales (AM) qu’Archives Départementales (AD).
Environ 80 personnes y travaillent des conservateurs aux agents magasiniers.
Les archives de Paris, c’est un total de 75 km linaires d’archives réparties en 2 lieux : le dépôt de Paris, boulevard Sérurier où nous nous trouvons, pour 25 km linéaires, et le centre de conservation de Villemoisson-sur-Orge dans l’Essonne pour 50 km linéaires.
A la révolution ont d’abord été créées les Archives Nationales chargées de collecter et de conserver les documents du pouvoir royal, des abbayes et évêchés disparus, des lieux annexés comme biens nationaux, etc… en principe à travers toute la France.
Les documents de Paris et de la région parisienne rejoignirent rapidement les nouvelles Archives Nationales, mais les provinces ont beaucoup moins vu l’intérêt de ces versements et leurs documents ont plutôt rejoint les archives des nouveaux départements lors de leur création quelques années plus tard.
Les fonds conservés aux Archives de Paris sont donc principalement postérieurs à la Révolution Française à l’exception de quelques rares documents médiévaux (environ 250 documents).
On y trouve entre autres :
- les archives de l’Etat Civil (à partir de 1860, l’état civil reconstitué avant 1860, et certains actes paroissiaux)
- les archives judiciaires,
- les archives fiscales
- les recensements (qui ne commencent qu’en 1926)
- les archives familiales
- quelques archives acquises par achat
- la bibliothèque des archives de Paris….
Bonne nouvelle pour les généalogistes : les instruments de recherche dans les fonds seront bientôt accessibles en ligne.
Le bâtiment du boulevard Sérurier a été conçu spécifiquement pour les archives par l’architecte Gaudin. On peut remarquer de l’extérieur que l’architecture de l’immeuble représente la forme d’un lutrin.
Construit en 1989 et inauguré en 1990, il arrive à l’heure actuelle quasiment à saturation.
Un 3ème dépôt de conservation devrait être construit en banlieue parisienne.
L’immeuble est constitué de 8 étages :
- l’accueil au RdC
- la salle de lecture au 1er
- l’espace administratif au 2ème
- et les magasins d’archives du 3ème au 8ème étage.
Après cette rapide présentation générale, nous allons maintenant entrer dans le vif du sujet et sommes ainsi invités à nous transformer en « document ».
Autrement dit, nous allons suivre le parcours d’un document de son arrivée aux Archives à sa communication en salle de lecture, ce que notre hôte appelle la théorie des 4 C : Collecte, Classement, Conservation, Communication.
La collecte
Les 14 nouveaux documents que nous sommes à l’instant devenus, se retrouvent maintenant à l’arrière de la plateforme d’arrivée des archives.
Certains d’entre nous arrivent des diverses administrations de Paris, des mairies d’arrondissement, des services départementaux de Paris… Nous avons été versés par les services administratifs quand ils ne sont plus susceptibles de nous utiliser. Nous représentons un volume de 5 à 10% des documents, soit environ 1,5 km linéaires.
Normalement, les services administratifs remplissent un bordereau de versement mentionnant toutes les informations utiles aux classements, nous conditionnent dans des cartons ou boîtes archives et nous livrent aux archives. Mais dans les faits, ce sont souvent les Archives de Paris qui viennent nous chercher en urgence avant que nous risquions la dégradation et l’altération de nos contenus.
Il paraît que nous ne sommes pas toujours très propres ni très sains ! Nous commençons notre séjour aux archives placés en « quarantaine » dans un local spécifique pour veiller à ce que nous ne soyons pas contaminés par des champignons ou bactéries. Si besoin, la contamination sera traitée.
Le classement
Quand, enfin, nous sommes jugés en bonne santé, nous changeons de salle. Nous allons être triés, inventoriés et rangés dans des cartons au PH neutre (qui ne transfèrent pas d’acidité aux documents) spécialement conçus pour l’archivage. 2 types de cartons sont utilisés par les archives : les boîte DIMAB (conçues en particulier pour le site de Fontainebleau des AN) qui ont l’inconvénient d’être lourdes et de laisser passer l’air et la lumière par leur poignée de transport, et les cartons COCHARD (les cartons gris/noirs que l’on voit le plus souvent) qui sont neutres, hermétiques, pas trop gros donc pas trop lourds et supposés avoir une résistance certaine à l’eau et au feu.
Une cote nous est attribuée en fonction du type de document que nous sommes.
Puis la cote est étiquetée sur chaque carton.
Nous voilà bien propres, bien rangés, fin prêts pour notre nouvelle vie.
Aurions-nous atteint l’éternité ? Nous pouvons maintenant rejoindre notre nouvelle demeure qui s’appelle « magasin ».
La conservation
Les cartons étiquetés nous contenant sont montés dans les magasins d’archivage.
Chaque étage de conservation est conçu sur le même principe : 2 salles de rayonnages de conservation des documents rangés dans des boîtes sur des étagères et 2 salles de conservation destinées aux documents iconographiques rangés à plats.
La peinture au sol est anti feu, des portes coupe-feu ferment les accès et les extincteurs sont à poudre (même si les pompiers disent qu’ils sont inefficaces !).
Notre adresse est très précise : la cote sur nos cartons renvoie à notre localisation : l’étage, le local, le rayonnage, l’étagère.
Si l’un d’entre nous était mal rangé, il deviendrait très difficile de le retrouver ! un motif informatique permet pourtant d’indiquer un document égaré : l’ « Absence inexpliquée ».
Les rayonnages sont des rayonnages fixes. Pas de système mobile compactus ici, trop lourd, cela dépasserait la résistance au sol.
Nos conditions de conservation sont très contrôlées : pas de lumière (les fenêtres sont fermées par un store : petite incohérence de l’architecte qui a placé une fenêtre dans les magasins d’archivage pour l’esthétique de sa façade), une température constante d’environ 17°, une hygrométrie à 55%.
Les cartons concernant un même type de fonds sont conservés au même étage : fonds judiciaires, fonds familiaux…. Nous restons groupés !
Au 4ème étage où nous nous trouvons sont les dossiers des enfants assistés. Ces dossiers sont à peu près complets depuis le 17ème siècle.
La consultation de ces dossiers est très contrôlée. La part d’émotion de celui qui les consulte peut le conduire à vouloir en soustraire certaines pièces. Les documents ne peuvent donc être consultés qu’en salle de présidence où des tables ont été spécialement aménagées pour la consultation des documents les plus fragiles. Les pièces du dossier sont numérotées par le président de salle avant la consultation et contrôlées au rendu du dossier. Certains dossiers contiennent des pièces (la moitié d’une carte à jouer, d’une pièce…) qui permettaient aux parents de s’identifier s’ils souhaitaient reprendre leur enfant. Ces pièces ont été retirées des dossiers et classées à part car trop susceptibles d’être subtilisées.
Il y a aussi ici, parmi nous, quelques documents très anciens qui ont été achetés. Ils sont conservés avec beaucoup de précaution, protégés par des plastiques neutres.
Les archives suivent en permanence avec beaucoup d’attention tous les documents mis en vente et ont un droit de préemption sur certains documents.
Ça bouge. Les plus grands d’entre nous, les moins pliables, seront rangés différemment.
Dans le magasin en face se trouvent les documents iconographiques. Des meubles à tiroir de grande largeur et profondeur permettent de ranger les documents à plat : des plans, des affiches, l’atlas des plans des carrières de Paris par exemple… Quelques exemples ont été sortis pour nous : un plan de Paris de l’époque Napoléonienne, une affiche dessinée par Poulbot…
Les documents les plus fragiles, les calques par exemple, sont parfois doublés d’une feuille de papier très fin (papier japon) pour les consolider puis protégés sous une feuille de plastique neutre.
D’autres sont rangés dans des sortes de coffres permettant de les suspendre, ou encore, dans un autre magasin, certains plans roulés de grandes longueurs (plans rue par rue, plans au sol, de voirie…) sont aussi rangés dans des coffres aménagés spécialement pour maintenir les rouleaux qui les contiennent.
Nous voilà bien conservés.
Et maintenant ? nous allons remplir notre fonction la plus importante, notre raison d’être là, d’avoir atteint notre statut d’Archive : celle de transmettre à la connaissance des lecteurs toute la valeur de notre contenu.
Attention… Le magasinier nous retire de notre étagère, nous pose sur son chariot et c’est parti pour une petite descente en ascenseur, direction la salle de lecture.
La communication
L’aménagement de la salle de lecture a été confié à un architecte d’intérieur, le fils de Gaudin.
Elle prévoit 60 places de consultation + les places de consultation des documents numériques sur ordinateur et de lecteurs de microfilms, des places pour la consultation des cartes et plans, et enfin des places en salle de présidence pour la consultation des documents les plus fragiles ou délicats.
Pour accéder à la salle de lecture, le lecteur doit d’abord s’inscrire auprès de l’accueil, muni de sa carte d’identité. L’inscription est gratuite et valable un an. Au dos de la carte délivrée par l’accueil figure un code barre qui contient l’identification du lecteur et lui permet de commander des documents.
Chaque lecteur a le droit de consulter 10 documents par jour, 3 par 3.
La salle de lecture des archives de Paris, c’est la consultation d’environ 300 documents par jour par en moyenne 70 à 80 lecteurs.
Les visiteurs sont de toute nature. Il y a bien sûr les généalogistes amateurs et professionnels, les étudiants et chercheurs, mais aussi 20 % d’usagers qui sont monsieur et madame tout le monde à la recherche de leur droit : un document administratif nécessaire pour une succession, un achat immobilier, une affaire de divorce…
Elle est accessible du lundi au vendredi en continu : les levées des commandes ont lieu toutes les ½ heure ou toutes les 10 fiches.
Le samedi : pas de levée, il faut réserver ses documents à l’avance. Le lecteur a jusqu’au mercredi pour anticiper sa visite du samedi.
Les instruments de recherche sont situés sur les étagères le long de la baie vitrée. Ils permettent de relever la cote du document recherché et d’aller la saisir sur les ordinateurs situés près de la présidence de salle.
Dès qu’un document est commandé, sa fiche de suivi est imprimée dans la zone de retrait/dépôt des documents, le petit dépôt. La fiche se divise en 2 parties et contient un code barre : une partie blanche « la fiche Suiveuse » et une partie rose « la fiche Fantôme ». Le magasinier qui est monté nous chercher, a déposé la fiche Fantôme à la place de notre dossier ou document qu’il a sorti du magasin de conservation. Il retirera la fiche quand il replacera le dossier. A chaque étape le code barre est scanné : sortie du dossier du magasin, remise du dossier au lecteur, retour du dossier par le lecteur, rangement du dossier dans le magasin. Cela limite donc le risque de document en état d’ « Absence inexpliquée ».
Les archives numérisées consultables sur les ordinateurs en salle de lectures sont plus nombreuses que celles consultables en ligne. En effet, les règles établies par la CNIL ne permettent pas la diffusion sur internet de certains documents.
Et voilà ! Nous redescendons dans la salle de conférence du rez-de-chaussée et reprenons nos apparences de généalogistes amateurs bien heureux de cette visite qui nous a permis de voir l’envers du décor. Nous saurons maintenant quand nous commanderons un document, où et comment il est conservé, et quelles étapes il emprunte pour nous permettre de le consulter et d’y découvrir tous les trésors d’information qu’il contient, avant de retourner soigneusement sur son étagère attendre qu’un autre lecteur, lui aussi, viennent le consulter.
Merci à notre guide pour les explications précises qu’elle nous a fournies et pour les documents un peu exceptionnels qu’elle nous a montrés.
Les archives de Paris en ligne :
http://canadp-archivesenligne.paris.fr/
Toutes les infos sur les archives de Paris :
http://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/culture-et-patrimoine/archives